Nouvelle Rubrique : Morceaux d'histoires ... " Un trait bleu par ma fenêtre "

(À la demande générale de nos amis les lecteurs, une nouvelle rubrique débarque, on pourra désormais de temps à autre découvrir ici une nouvelle ou un extrait de texte issus d'un projet plus long de votre serviteur, histoire de se faire ensemble une pause fiction. Pour devancer les questions, oui parfois les faits sont très largement autobiographiques, parfois...pas du tout, mais si ce n'est pas l'histoire de ma vie, c'est toujours un peu celle de toutes les femmes que je ne serai pas ... ;) )






La petite ligne bleue est apparue. La barre contrôle. Ça sent vaguement l'urine dans le mètre cube qui nous sert de toilettes. Je fixe intensément les joints crasseux du carrelage blanc. Si une deuxième barre bleue apparaît, c'est confirmé, je suis tombée enceinte. 

On dit tomber enceinte comme si une tuile nous écrasait un coin de la gueule. 
C'est une expression étrange. Alors ça nous tombe dessus comme ça un matin. 
Finalement, que tu l'attendes depuis trois ans ou que tu sois juste surprise d'attendre tes règles depuis 8 jours, ça te "tombe" dessus. 
La légèreté de cette image, cumulée aux prédictions d' "enfanter dans la douleur", nous voici prévenues depuis l'origine que ça ne sera pas un cadeau. 

Je repousse maniaquement le test avec le pied pour qu'il reste parallèle au ligne du carrelage. Quelques millimètres à gauche. Merde trop loin. Quelques millimètre à droite. La tige en plastique blanc parfaitement alignée avec les rayures blanches qui quadrillent le sol, j'espère alors m'être placée sous les meilleurs auspices. 
De la prière au TOC il n'y a qu'un pas.

Je prie pour quoi déjà. A défaut de savoir qui prier exactement. Une légère pointe de douleur se fait sentir dans mon thorax. J'évite de regarder le minuscule écran et sa première bande bleue. 

Cinq minutes d'attente. Au delà de dix ne pas lire le résultat. Il n'est plus fiable. C'est écrit en gras sur la notice. T'as une fenêtre de tir de cinq minutes pour savoir où tu en es. 
Moi qui croyait ne surtout pas fixer l'écran, j'aperçois immédiatement l'écran changer de physionomie. Je devais avoir un troisième œil inconscient qui regardait.
A l'affût. 

C'est non alors. 

Bien parallèle au joint crasseux, la tige en plastique a décidé de mon sort ce matin. 

Négatif. 

Ça me serre dans la poitrine. Je suis presque surprise d'être aussi contrariée. 
Je sens une vague tristesse m'envahir. 
Pas d'avenir pour moi de ce côté là de mes projets. 
Est-ce que ça veut dire que je voulais vraiment cette grossesse ? C'est le signe que j'étais prête ? 

Dépitée. 

Mais dans ce cas alors pourquoi ça ne marche pas ? C'est quoi cette ordre foireux des choses où quand tu veux tu n'y arrives pas, alors que tant de nanas qui n'en veulent pas ou pas encore, se retrouvent dans la panade avec une croix bleue sur les bras ?

Devenir parent c'est accepter de ne pas forcément réussir à faire mieux que les siens. Accepter de faire les mêmes conneries. De faire soi-même de la merde et les mauvais choix. C'est être obligé d'apprendre l'indulgence pour ses parents. Leurs errances.
Je voudrais faire mieux. Faire surtout différemment.
Différente d'eux. Pourtant chaque jour je constate que je revendique leur héritage. 
Quand je veux faire à ma manière, c'est en réalité en opposition à eux, et parfois je copie/colle ce qu'ils sont. La troisième voie doit exister.

T'en dis quoi toi papa ? T en dis rien hein. 

Ça fait quinze ans que même tes bavardages sont silencieux. 

Il n'existe donc rien que tu veuilles transmettre depuis quinze ans. 

Les lignes du carrelages se floutent sous mon regard embué. 
Je lève le couvercle cassé de la petite poubelle bleue. La pédale ne répond plus depuis déjà plusieurs mois. Je jette d'un coup sec le test de grossesse et son refus de possibilité. Assise sur les toilettes, le pantalon bouchonné aux chevilles, j'attends comme une conne qu'il se passe quelque chose. Quelque chose d'extérieur à moi. Qui viendrait me donner une indication précise. J'attends une putain d'illumination assise sur les chiottes. 
La peinture jaune sur le mur s'écaille par endroit et forme de jolies constellations d'étoiles fissurées.
Mon âme doit ressembler à ça, des fissures qui ensemble donnent quelque chose de beau. 

Je remonte mon pantalon et boucle ma ceinture. Je vais me donner une autre chance. Encore un mois avant de passer à autre chose. 
La pharmacie doit bien avoir un stock suffisant de tiges-test pour jouer encore un tour à la roulette russe avec mes émotions. Mais il me faudra poser une limite. Un moment où j arrête de jouer. Parce que c'est trop éprouvant.
Je pourrais laisser faire le hasard. Mais il a déjà tellement de place dans cette histoire là que j'ai besoin de contrôler quelque chose. 
Le temps que je me laisse, c'est ma manière de ne pas être complètement passive dans cette histoire. 


Et toi papa, tu le vivais comment de nous attendre quand tu étais jeunot ? 
Tu nous voulais au moins ? Maman t'as forcé la main avec son désir d'enfant, ou nous sommes des accidents, qui te sont comme tombés un beau jour sur le coin de la tronche ?  

Tu ne me répondras pas je sais. 

Ce sont mes cris à moi ce matin qui sont silencieux.




Commentaires

  1. pfiouuuuu j'ai l'impression de me relire il y a tout juste un an, avec les mêmes questions et colères !
    Bordel, toutes les filles qui disent "oh on y pensait pas trop et c'est arrivé d'un coup" je te les giflerais volontiers car moi, je le veux et je l'attends plus que tout!

    Enfin, plus qu'à prier, ou je ne sais quoi... en attendant notre croix bleue à nous !

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    1. La maternité n'est pas une science exacte et nous l'apprenons parfois à nos dépens .... Heureuse que le texte t'ait touché .... Et courage ;) !

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